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Dossier

Seule, on va plus vite, à deux on va plus loin

Après des années de lutte pour la liberté et l’indépendance, reconnaître que l’on a besoin des autres peut être un peu difficile. Pourtant, la dualité, pas forcément amoureuse, est une force qui permet de surmonter bien des obstacles.

L’homme seul est quelque chose d’imparfait ; il faut qu’il trouve un second pour être heureux». C’est Pascal qui l’affirme, dans son discours sur les passions de l’amour. Même si l’on met la Bible de côté – Dieu aurait créé Ève pour qu’elle soit «utile» à Adam… –, on sait bien que nous ne sommes pas faits pour vivre seuls. Pas tant pour des raisons psychologiques que de physiologie. Comme le remarquait le psychanalyste Jacques Lacan, nous sommes «des animaux à la naissance prématurée». Nous avons besoin de la protection de nos parents, principalement de notre mère, pendant de longues années, incapables de survivre par nos propres moyens. Les humains créent naturellement des familles, des tribus, des clans pour compenser leur faiblesse naturelle.

Faux sentiment d’indépendance
Nous sommes pourtant nombreuses à revendiquer notre liberté, à affirmer haut et fort que nous n’avons besoin de personne, et surtout pas d’un homme. Les chiffres pourraient sembler confirmer cette tendance. Avec plus 8 millions de personnes vivant seules, le nombre de célibataires a plus que doublé en 40 ans, et 60% des solos sont des femmes. Mais ces chiffres sont trompeurs. Une forte proportion de célibataires a entre 20 et 30 ans. La conséquence de l’allongement de la durée des études, d’une entrée plus tardive dans la vie
active et d’un hébergement parental qui s’éternise. Toutes des «Tanguette » ? Et surtout, plus de la moitié des personnes seules ont plus de 60 ans. Et ce sont en majorité des femmes. Le fruit d’une espérance de vie plus longue, pas franchement un choix de vie. En fait, comme l’affirme le psychanalyste et philosophe Miguel Benasayag, «Nous ne sommes que liens. Avec notre famille, nos amis, notre environnement…».

Plus fort ensemble
Dans l’imaginaire collectif, les héros sont seuls. Et quand ils essaient de se regrouper, comme dans les dernières productions Marvel, les choses ne se passent pas très bien. Nietzsche, qui affirmait, méprisant, «Veux-tu avoir la vie facile ? Reste toujours près du troupeau, et oublie-toi en lui», exhortait les «esprits libres» à pratiquer «l’individualisme aristocratique». Autrement dit, à s’isoler de la communauté pour se libérer de la morale du troupeau. Mais, dans un monde toujours plus incertain, avec des relations de plus en plus complexes,
le choix n’est pas entre un comportement moutonnier et un hyperindividualisme. Tout au long de notre vie, nous avons besoin de créer du lien avec nos semblables. Les études montrent que la peur de l’isolement est l’une de nos plus grandes craintes. Mais nous n’avons
pas pour autant une ouverture totale au reste de l’humanité. Freud l’a très bien expliqué : «Il n’est manifestement pas facile aux humains de renoncer à satisfaire cette agressivité qui est la leur ; ils n’en retirent alors aucun bien-être. Il est toujours possible d’unir les uns aux autres par les liens de l’amour, une plus grande masse d’hommes, à la seule condition qu’il en reste d’autres en dehors d’elle pour recevoir les coups». Nous recherchons un ami, un frère, un compagnon qui nous ressemble, qui a les mêmes valeurs, les mêmes références, les
mêmes goûts que nous. Et surtout sur lequel nous pouvons nous appuyer.

Besoin ou désir ?
Pour qu’un duo, amical, amoureux, professionnel, fonctionne, il faut qu’il repose sur deux valeurs fondamentales : la réciprocité et le respect de l’individualité de chacun. Un couple n’est pas la fusion de deux entités en une seule. C’est la somme des attentes, des qualités
et des faiblesses de chacune des deux parties. On entend souvent dire que nous avons «besoin» des autres. L’expression est malheureuse. Elle évoque la nécessité du rôle de l’autre et donc notre incapacité à faire par nous-mêmes. Si nous pensons que nos besoins peuvent être comblés par un autre, alors on oublie la part qui nous revient. Le besoin nous rend dépendante, possessive, jalouse. J’ai besoin d’un mari qui me garantit stabilité financière ou statut social, d’une amie qui me réconforte quand je vais mal, d’un compagnon qui me donne plaisir, affection et reconnaissance, d’une mère qui m’accepte telle que je suis… Nous nous reposons sur l’autre pour qu’il nous apporte ce que nous attendons, ou croyons attendre de la vie. Une relation n’est pas une solution pour nous apporter ce que nous voulons, mais bien pour créer et offrir aux autres, ce que nous voulons pour soi et ainsi faire l’expérience de l’avoir.

Construire à deux
Vivre sans avoir besoin de quelqu’un ou de quelque chose est ce que nous sommes. Croire que les autres nous sont indispensables pour obtenir ce que nous souhaitons est une erreur. Ils sont nécessaires pour nous puissions atteindre nos objectifs par nous-mêmes. Et ce
n’est pas du tout la même chose. Il faut définir ce qui compte réellement pour nous et nous donner les moyens d’y parvenir. Et les autres peuvent nous y aider, au travers de la relation individuelle que nous pouvons établir avec chacun d’eux. Il est important de ne pas être
dans l’attente, dans l’espoir que l’autre fasse quelque chose pour nous. Si cela n’arrive pas, nous n’avons pas à être déçue ou frustrée. Et si cela arrive, nous pouvons en profiter sans aucune arrière-pensée. Nous n’avons besoin de personne en particulier pour exister ou
pour vivre, mais sans les autres, nous ne pouvons pas nous connaître
ni créer l’expérience de qui nous sommes.